pont casaluna

Ce 24 novembre 2016, les habitants de la vallée de la Casaluna s’en souviendront longtemps. Cest ce jour~là que le pont Napoléon-III, qui enjambait la petite rivière depuis deux siècles, a subi les assauts de l’eau en furie et cédé sous la pression d’un gigantesque embâcle. Face à une alerte météo de niveau rouge, L’ouvrage en pierre construit à l’époque « pour la somme de 4 269 francs » n’a pas résisté. Dans l’urgence de désenclaver tous les villages qui en dépendaient, un pont militaire de location avait été jeté par-dessus la Casaluna au mois de janvier suivant. Salutaire, il présentait néanmoins (et présente toujours) deux défauts majeurs : les camions les plus lourds ne peuvent pas le franchir, au grand dam des entrepreneurs de la micro région, et il coûte à la collectivité 2 500 E par mois. À l’époque. il devait rester en place six mois.

Budget des travaux plus de 3 millions d’euros

En mai 2020, les pouvoirs publics l’affirmaient : les travaux allaient démarrer. Et Paulu Santu Parigi, alors président de la communauté de communes Pasquale-Paoli. expliquait que le futur pont reprendrait « en partie le tracé de l’ancien ›› et que « certaines pierres seraient réutilisées pour réaliser des aménagements aux abords ». Impossible en effet de reconstruire le pont à 1’identtique, eu égard aux conditions météorologiques contemporaines et à la fréquence des crues, bien supérieure à celle des siècles derniers. Presque deux ans et une pandémie mondiale plus tard, rien n’a bougé, dans la Casaluna. Mais Loïc Morvan, directeur des routes à la CdC déroule un nouveau calendrier : < Quand nous avons repris te dossier en 2018, il a fallu recommencer a zéro. Aujourd’hui, les différentes études sont achevées et nous avons obtenu un cofinancement. Les marchés de travaux ont été attribués. Les phases préparatoires commenceront ce mois-ci pour un démarrage des travaux au printemps et une livraison du chantier prévue a Tété 2023. ›› Le tout est évalué à un peu plus de 3 millions d’euros, cofinancés par la Collectivité de Corse et l’État au litre du Plan Exceptionnel d’investissement (PEI). « Cet ouvrage est très important pour la microrégion >. reconnaît Loïc Morvan, qui se retrouve enclavée. Sur cette zone et sur cette route, nous avons déjà réalisé des travaux sur le revêtement. sur les murs… Ce dossier n’est pas facile, mais il est essentiel pour beaucoup de gens. »

Capable d’encaisser un débit de 640 m3/s

Pas facile à plusieurs égards. « La zone est pleine d’amiante naturelle, ce qui complique toujours les choses. »La nature même du pont à reconstruire a posé pas mal de questions. Car les crues que l’on qualifiait autrefois de « centennales » se produisent désormais à un rythme beaucoup plus soutenu, dérèglement climatique oblige. Des mesures ont donc été faites : « Le futur pont doit pouvoir encaisser un débit d’eau de 640 m3 par seconde, détaille Loïc Morvan. Celui qui a été détruit ne pouvait pas aller au-delà de 275 rn3 par seconde. Un ou deux ans avant sa destruction, il y avait déjà eu une alerte et des éléments avaient été emportés. » Autant de raisons qui ont poussé les ingénieurs à imaginer un ouvrage différent. moins « patrimonial ›› mais plus sûr.

MORGANE OUILICHINI

Ils se sont rassemblés pour s’opposer à la destruction du pont de la Casaluna. Hier. vers 15 heures, habitants et élus du Rustinu, de la Vallerustie et même au-delà, étaient réunis devant les ruines de ce pont qui a vu passer les générations. Porte d’entrée de la vallée, l’ouvrage vieux de plusieurs siècles avait été emporté lors de la crue du 24 novembre 2016. Pour permettre aux habitants de circuler, début 2017, un pont provisoire – actuellement toujours en fonction – avait été installé à proximité par le conseil départemental de Haute-Corse (avant la fusion des départements avec la CTC). Aujourd’hui, la Collectivité de Corse porte le projet de la construction d’un nouveau pont entre l’ancien ouvrage et le passage provisoire (voir par ailleurs). Ce projet prévoit aussi la destruction de l’ancien édifice, contre lequel s’insurgent les habitants de la microrégion.

Valeur patrimoniale et touristique défendue

« On le sait, notre région n’est pas touristique, remarque Iean-Batiste Tafanelli, président de l’office de tourisme intercommunal (OTI) de la communauté de communes Pasquale-Paoli (CCPP). Notre seul atout, si nous voulons attirer du monde, c’est notre patrimoine : nos églises, nos chapelles. .. et nos ponts. Il s’agit (un pont génois, dont les premières mentions apparaissent, d’après les archives de la Drac, en 1736. ll a été édifié sous le règne de Gène, puis il y a eu la révolution corse, qui a mené à son indépendance. Pascal Paoli avait d’autres préoccupations que celle de cartographier ce pont, comme établir la Constitution, Ce pont génois a été en partie détruit durant la guerre d’indépendance, puis il a été reconstruit sur les fondations de l ‘ancien pont, selon le même modèle ››, affirme-t-il. Jean-Batti Tafanelli aimerait pouvoir sécuriser l’ancien ouvrage avec « l’office de tourisme et les communes » et y ajouter une signalétique avec des informations historiques, pour informer les visiteurs. « Actuellement, c’est le pont le plus photographié de la microrégion », appuie-t-il.

Curer les rivières pour éviter les embâcles

Le projet du nouveau pont satisfait la population: « Ce projet ne nous gêne pas, bien au contraire, ce qui nous gêne c’est qu’ils prévoient la destruction de l’ancien pont », poursuit le président de l’0TI. Pour les manifestants, sa destruction en 2016 – au-delà du changement climatique – est due au manque d’entretien des cours d’eau, liés au durcissement des réglementations qui les concernent : « Le problème, ce sont les troncs d’arbres qui créent des embâcles et ces embâcles emportent les ponts », souligne Dévote Tomasi, originaire de Gavignanu et venue de Bastia spécialement pour la manifestation.« Il va falloir que l’on trouve une solution à ce problème, ajoute lean-Pierre lsacco, conseiller municipal à San Lurenzu. Bien sûr, avec les changements climatiques, le problème va s’amplifier Mais si l’on regarde en arrière, les anciens ont toujours entretenu les rivières. ›› Le Sanlurenzincu se rappelle encore de la crue du 5 novembre 1994 : « j’étais encore enfant, mais je m’en souviens très bien. Des ponts avaient été emportés à Omessa et Lann, mais pas celui~ci. Et pourtant la crue de 1994 était plus puissante que celle de 2016. »

« Si on nous prouve que c’est la seule solution on l’acceptera ››

Les habitants regrettent que la Collectivité ait fait le choix de détruire ce pont qui, au-delà de ces critères patrimoniaux et historiques, revêt pour eux une grande valeur affective. Ils l’ont toujours connu et celui-ci a été emprunté à travers les siècles par leurs parents et aïeux. Ils exprimaient aussi des réticences face aux raisons exposées pour sa démolition : « On nous dit que l’ancien ouvrage menacera, en cas de crue, le nouveau pont et risque de l’emporter: Mais puisqu’il est cassé, il laissera passer l’eau et nous ne voyons pas comment il pourrait menacer le nouveau pont, s’interroge lean-Batti Tafanelli. Maintenant. si demain l’on nous prouve qu’il n’y a pas d’autre solution, on se ralliera à la cause. » « On nous dit que la démolition du pont coûtera 300 000 €, complète Carole Sambroni-Leschi, première adjointe de San Lurenzu. Ne peut-on pas plutôt utiliser cette somme pour consolider le pont ? » Dans la journée, les manifestants ont reçu un communiqué de la part de l’Exécutif de la CdC « une main tendue qui a été appréciée – leur proposant de se réunir sur site prochainement, afin de peser ensemble les différentes options. Et pour déterminer si, oui ou non, l’on peut sauver l’ancien pont de la Casaluna.

B. IGNACIO-LUCCIONI

Pour répondre aux interrogations des habitants mobilisés contre la destruction de l’ancien pont de la Casaluna, le conseil exécutif de la Collectivité de Corse leur a fait parvenir hier un communiqué. Celui-ci commence par évoquer les chiffres clefs sur lesquels Ia CdC s’est appuyée pour prendre cette décision. Rappelant qu’anciennement, la crue centennale de la Casaluna était évaluée à 150 m3 par seconde. La nouvelle valeur est estimée à 640 m3 par seconde.

Un projet à 3,60 M€

Or « le débit du pont de la Casaluna en son ancienne configuration étant au maximum de 275 m3 par seconde, le choix de la construction d’un nouvel ouvrage devenait le seul possible ››. La CdC a engagé la somme de 3,6 millions d’euros pour créer « un ouvrage nouveau, d’une largeur roulable de 5 mètres au lieu des 2,8 mètres antérieurs » et prévoit de « définir le meilleur projet possible au plan technique et architectural (rappel des voûtes de l’ancien pont, traitement des abords, choix d’un tablier élancé, etc.) ». Elle certifie également que « toutes les options techniques ont été envisagées aux fins de conserver les vestiges de l’ancien. Pont ›› appuyant que « la politique patrimoniale de la Collectivité de Corse est bien sûr de conserver; de réhabiliter et de mettre en valeur, à chaque fois que possible, les ouvrages anciens ››.

« Tous les scenarii envisagés ››

Poursuivant : « Pour les raisons hydrauliques ci-dessus évoquées et malgré la diversité des scenarii envisagés, il n’a pas été possible d’identifier une solution permettant de conserver les ruines du pont de la Casaluna, ni même de le reconstruire pour des raisons uniquement patrimoniales, du fait de l’insuffisance hydraulique de ses arches multiples. » Un risque qui aurait été « confirmé par la DDTM et les services de l ‘État ››. Pour autant, la Collectivité et son conseil exécutif disent comprendre et partager « l’émotion des élus et des habitants de la région ››. Le communiqué s’achève par l’invitation à « une nouvelle réunion sur site en présence des élus du territoire; de la Collectivité de Corse et de l’État et de leurs services respectifs, et ce dans les plus brefs délais ».

Une étude commandée à la Drac par la CdC

Pour mener cette étude, la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) a été sollicitée par la Collectivité. « Nos missions sont de préserver le patrimoine, rappelle Franck Leandri, directeur de la Drac. La CdC nous a demandé une étude scientifique et historique ii y a deux ans, que nous avons transmise à la maîtrise d’ouvrage, le service des routes de la Collectivité. » Mais, sur ce dossier, la Drac n’a aucun pouvoir de décision quant à la sauvegarde ou la démolition dudit pont. Et si l’histoire montre que le pont de la Casaluna remonterait au XVII* ou au XVIII* siècle, « il n’est pas protégé au titre des Monuments Historiques, car il n’est ni classé, ni inscrit ››, constate-t-il.

Un pont réparé à plusieurs reprises

Cette étude évoque des documents cartographiques qui représentent bien un passage en 1738. Or, « en l’absence de représentation concrète d’ouvrage en 1738 ››, dans sa conclusion, l’étude ne peut affirmer qu’en 1738 le pont de la Casaluna existait déjà sous la forme que l’on connaît. La seule certitude est qu’il était bel et bien « figuré sur des documents anciens ›› en 1756. L’étude note également que « l’arche emportée par la crue devait présenter de nombreux signes de fragilité, aujourd’hui attestés par le remplacement de voussoirs et des avant-becs réparés, modifies et enduits voire bétonnés ››. Autrement dit, le pont aurait déjà souffert de plusieurs crues par le passé et aurait déjà été réparé à plusieurs reprises, après avoir subi les affres des intempéries.

B. I.-L.

2 réponses sur “pont casaluna”

  1. Bonjour

    Spécialiste des ponts en maçonnerie, ingénieur expert en ouvrages d’art avec des années d’expérience à l’Etat et en collectivités, président d’un programme national de recherche DOLMEN en cours avec des organismes de l’Etat sur le calcul des ponts en maçonnerie, j’ai observé le souhait local de conserver un tel ouvrage. Il est compréhensible et bien inspiré, ces ouvrages font partie de l’histoire et des cartes postales locales et les citoyens y sont très attachés.

    La valeur patrimoniale évaluée par la DRAC ne correspond pas à un ouvrage assez ancien pour rentrer dans les critères de classement au titre des monuments historiques. Cela ne veut pas dire que l’ouvrage ne présente pas d’intérêt par ailleurs.

    Techniquement, sa reconstruction à l’identique est simple, et ne fait l’objet d’aucune inconnue si ce n’est à vérifier les fondations qui restent. Le problème ne peut pas se poser là. Economiquement le projet de reconstruction à l’identique semble accessible.

    Par ailleurs la durabilité, la robustesse aux charges routières, l’empreinte carbone sont autant d’atouts qui militent en la faveurs de ces vieux ouvrages en maçonnerie. Leur durée de vie est bien supérieures aux ouvrages modernes conçus actuellement.

    Une voûte en maçonnerie bien construite est indestructible sous les charges routières.

    Mais l’observation des images me laisse à penser que c’est bien la charge hydraulique qui a emporté la voûte. Le réchauffement climatique contribue à fragiliser ces ouvrages conçus en d’autres époques où la connaissance hydraulique était basée sur la mémoire humaine.

    Et dans ce contexte, un simple défaut de maintenance ( absence d’une pierre ou deux) qui n’a aucune importance sur la structure en temps normal, peut par contre se révéler catastrophique et rapidement fragiliser l’ouvrage lors des effets dévastateurs de la vitesse des courants de crues. J’ai vu des ouvrages en maçonnerie se vider lors des crues. Le problème ne vient pas de leur incapacité à résister aux charges latérales des crues, mais vient d’un simple problème de maintenance.

    Peut être reste il une solution de conserver les 3 voûtes en place, et franchir la brèche par une travée métallique permettant d’améliorer le débouché hydraulique, en reposant sur les appuis en place. Cela s’est effectué plusieurs fois dans l’histoire. Tout dépend du niveau des débits et des plus hautes eaux constatées selon les dernières références.

    Voilà, je tenais à réagir en comprenant l’intérêt de la population à sauver leur ouvrage.

    Si d’aventures vous étiez intéressés par une réflexion approfondie et indépendante sur les propositions en cours, afin de voir si toutes les alternatives ont été étudiées pour tenter de sauver l’ouvrage. Car parfois c’est par manque de connaissance de ces ouvrages anciens que leur obsolescence est décrétée par des bureaux d’études publics ou privés. Combien ai je vu de ponts en maçonnerie submergés par les torrents des crues et résister cependant. On peut même améliorer leur comportement aux crues.

    Je ne dispose pas de tous les éléments pour émettre un avis complet

    Ce mail peut être transmis aux partenaires.

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