La vie à Carticasi

Quelques anciens du village encore vivants et en bonne santé ont connu un Carticasi animé, avec une vie agricole intense, et des maisons bruyantes de cris d’enfants. Mais c’est, en gros, entre 1895 et 1930 que Carticasi a atteint son apogée, avec une population de 400 habitants environ, et une moyenne d’une naissance par mois, avec, sur ce dernier point, deux « pics » en 1859 et 1867 (21 et 22 naissances, soit presque deux par mois !).

 

EVOLUTION DE LA POPULATION DE CARTICASI

Chiffres fournis par Georges Massoni

 

Carticasi (2B-3-34-068)

1686 -> 230 1826 -> Abs. 1896 -> 404
1729 -> 111 1831 -> 285 1901 -> 406
1732 -> 111 1836 -> 297 1906 -> 409
1740 -> 33 feu 1841 -> 316 1911 -> 417
1758 -> 32 feu 1846 -> 306 1921 -> 407
1766 -> 182 (40 feu) 1851 -> 331 1926 -> 418
1770 -> 183 (41 feu) 1856 -> 361 1931 -> 381
1787 -> 162 1861 -> 380 1936 -> 356
1790 -> 46 feu 1866 -> 382 1946 -> 205
AN08 -> 182 1872 -> 389 1954 -> 234
AN11 -> Abs. 1876 -> 379 1962 -> 201
1806 -> 222 1881 -> 355 1968 -> 201
1810 -> 228 1886 -> 351 1975 -> 197
1818 -> 201 1891 -> 381 1982 -> 21

1990 -> 18

Ainsi, à l’aide des témoignages, on peut reconstituer une sorte de portrait de Carticasi au début du vingtième siècle.

D’abord, la vie est encore essentiellement agricole. Tous les versants de montagne orientés vers le village, à l’ouest de celui-ci, de l’autre côté de la Casaluna, en particulier vers Erone, sont cultivés, souvent en terrasses. Du blé sur les parcelles les plus importantes. Mais nous sommes bien dans la « Castagniccia » et partout, c’est la châtaigneraie, aussi bien en descendant sur Cambia que, de l’autre côté, vers le sud, en continuant sur le col de St Antoine. Ici comme dans bon nombre de villages, c’est la guerre de 14 qui portera un coup fatal aux activités agricoles, en fauchant beaucoup d’hommes jeunes et en incitant les autres à s’expatrier, abandonnant les travaux très pénibles et de très faible rapport, propres à l’agriculture de montagne, pour s’orienter vers d’autres métiers et d’autres horizons, en particulier liés à l’administration coloniale (Afrique du Nord, Afrique noire, Indochine, …).

Chacun a également son ou ses jardins, produisant fruits et légumes pour les besoins de la famille.

Dans un village aussi modeste, il n’y a pas de commerçants installés dans le but de se développer et de s’enrichir, mais plutôt des artisans qui répondent aux besoins communs et qui vivent le plus souvent d’échanges de services plus que de paiements. L’entraide et la solidarité fonctionnent bien.

On trouve quand même :

– un forgeron, qui ferre les ânes et les mulets. C’est la famille Mattei qui remplit cet office, sur la route de la Fontaine, puis Xavier Sabiani, après son mariage avec Claire Mattei ;

– un cordonnier. La plupart du temps, chaque chef de famille fabrique des chaussures pour les siens. Mais Giuseppe Maria Pometti, puis son fils Charles Benoît ont exercé cette fonction quelques temps, au Pughjale.

Pour le pain quotidien, donc la farine, il y a des moulins sur la rivière (voir plus loin). Le dernier meunier installé sera Jean-Pasquin Calzarelli, qui, avec sa femme et ses onze enfants, ne parviendra pas à sortir de la misère et devra abandonner le métier. En effet, après la guerre de 14-18, les champs de blé locaux ont disparu et il n’y a donc plus assez de travail pour le meunier. Toutefois, le moulin continuera de tourner pour les châtaignes, jusque dans les années 70, avec Joseph Calzarelli.

Le boulanger n’existe pas, à proprement parler. Chaque famille fabrique son pain, cuit dans le four familial ou dans un four banal commun. Toutefois, dans les années 20, Géromine Terramorsi s’est installée comme boulangère, dans la maison de son frère Augustin. Lorsqu’elle arrêtera, c’est l’épicerie d’Henri Terramorsi qui fera dépôt de pain, approvisionné par un boulanger de Ponte Leccia.

Pour la viande, chacun élève ses animaux, mais les Moracchini feront bientôt des tournées régulières, depuis San Lorenzu.

Le type de « commerce » le plus répandu, comme dans tout village qui se respecte, est la buvette ! Les guillemets se justifient, dans la mesure où ces débits de boisson sont beaucoup plus motivés par l’idée de fournir un cadre pour des réunions sympathiques et amicales (sauf exception !), des veillées, des parties de cartes, des discussions sans fin, que par l’appât du gain. A Carticasi, il y en a une « officielle », c’est l’épicerie-buvette de Giuseppin (Josephin) et Anne-Marie Terramorsi, que reprendra leur fils Henri et sa femme Lisette. Aujourd’hui, le commerce n’est plus, mais si on prête bien l’oreille, on entend encore l’écho du bruit des cartes sur le tapis et les exclamations de joie ou de dépit des joueurs acharnés ! Du temps d’Henri, c’est son frère Forbon (Fortebono), lui-même épicier à Cambia, qui le ravitaillait en épicerie en allant s’approvisionner à Corte et à Bastia.

Un peu plus haut, vers la chapelle, Mathieu Orsini, dit « Dreyfus » (on devine aisément pourquoi), tient aussi une épicerie buvette, que sa fille Rose reprendra, avant d’en faire un restaurant pour les amis.

De l’autre côté du village, au Casone, c’est Jacques Alphonse Orsini, dit « Bouche mignonne », qui tient une sorte de bistrot et fait aussi bal, car il est musicien, un talent qu’il transmettra notamment à son petit-fils Simon.

Pour le reste, les sbarazzini (colporteurs) proposent régulièrement, dans leur baluchon porté à dos d’homme ou à dos d’âne, matériel de couture, tissus et petits outils. Des marchands occasionnels apportent huile de Balagne, ou fromages du Niolu. Des artisans d’Orezza rempaillent les chaises, rétament les chaudrons ou vendent de petits meubles.

Les maisons sont, pour la plupart, construites sous la direction de leur futur occupant, avec l’aide d’ouvriers journaliers de passage, souvent italiens, qui repartent une fois le travail terminé…à moins qu’un jupon ne les retienne au village, où ils posent alors leurs outils, pour bâtir leur propre maison !

Le rythme élevé des naissances (voir plus haut) jusqu’à la première guerre mondiale, justifie l’existence d’une école, ou plutôt de deux : les filles dans la « Casanova », maison juste derrière la fontaine sur la place centrale, et les garçons dans la salle actuelle du conseil municipal, adossée à l’église. Plus tard, lorsque la natalité diminuera, cette dernière salle accueillera l’ensemble des enfants, jusque dans les années 50. Certains s’en souviennent encore.

Aujourd’hui, les cris d’enfants ne résonnent plus qu’en été. Il n’y a plus d’école. La dernière naissance au village remonte à 1961. On n’accouche plus à la maison, mais à l’hôpital de Bastia. C’est plus sûr, en cas de difficulté, et, de toute façon, il n’y a plus de sage-femme.

Pendant la saison froide, seuls restent une quinzaine de « fidèles », malgré l’isolement, la neige et le climat montagnard, avec les difficultés de communication et de ravitaillement que cela suppose.

Pendant la belle saison, les familles reviennent, et des commerçants ambulants assurent un approvisionnement à peu près régulier, en pain, viandes, fruits et légumes, complété par quelques courses sur Ponte Leccia ou Corte.

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