Me Ursule AGOSTINI-TERRAMORSI

 

    A la barre pour l’histoire

Article paru dans SETTIMANA N° 895 du 7 octobre 2016 de Noël Kruslin et les photos de Christian Buffa.

Biographie Express
– 19 Septembre 1922 : Naissance à Bastia. Elle est également originaire de Carticasi.
– 1938 : Obtient son bac à bastia.
– 1944 : Fait partie de la première promotion du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat à Lyon.
– Janvier 1945 : Prête serment à Bastia.
– 1965 -1966 : Bâtonnier de Bastia.
– Décembre 1978 : Partie civile dans le procès de la tragédie de Bustanico il y a 38 ans.

La politique pour m'amuser
La politique pour m’amuser

En 1965, l ‘année où elle accède à la tête du barreau bastiais, Ursule Agostini-Terramorsi est
également la seule femme candidate aux municipales de Bastia sur la liste de droite, conduite
alors par jacques Faggianelli. « La politique, j’en ai fait, mais juste pour m’amuser » confie
celle qui siégea en tant que conseillère municipale de Bastia avant’d’occuper les fonctions de
maire-adjointe de Furiani. Une période durant laquelle elle fait face, aux côtés d’Eugêne Bertucci,
à la catastrophe ‘du 5 mai 1992.’

à la barre
à la barre

En janvier 1945, dans une ville de Bastia meurtrie par la guerre, elle prête serment pour
devenir Maître Agostini-Terramorsi, l’une des toutes premières femmes corses à embrasser
la profession d’avocat.Elle s’impose dans un milieu d’hommes jusqu’à devenir une figure
du barreau. A 94 ans, l’ancien bâtonnier est encore là, témoin sans faille d’une époque qui
vit briller les Charles Cancellieri, Tito Bronzini, Jean Zuccarelli et bien d’autres…

Elle les revoit, le ton un brin moqueur, face à elle, la jeune fille qui venait d’embrasser leur profession.
« Il y avait là Hyacinthe de Montera, le bâtonnier de l’époque, et son cousin, le grand Vincent de
Moro-Giafferi, qui s’était réfugié en Corse pendant l’Occupation. Tous les deux ventripotents, ils me
disaient: « Mademoiselle, vraiment, restez dans le métier ! Voyez comme il conserve »! »
Les deux grands avocats ne croyaient pas si bien dire en s’adressant à leur jeune consœur. Ursule
Agostini-Terramorsi a non seulement fait carrière mais elle est encore-là, 71 ans après cette
rencontre, pour s’amuser à son évocation.
« Et je vais vous dire mieux, Hyacinthe de Montera avait ajouté : « Restez-y longtemps, je ne veux pas
mourir avant de vous avoir vu bâtonnier « ! ».
Celle qui se vit lancer, ce jour-là, un dé? plutôt hautain, ouvre ses grands yeux pour déclarer: « L’ha
detta è l’ha fatta ».
De Montera était présent, en effet, ce jour de l’année 1965, pour voir accéder au rang qui fût le sien
vingt ans plus tôt, celle que l’on appelait « la petite demoiselle de la Citadelle ». La Citadelle :
le quartier a bercé les jeunes années d’Ursule, enfant unique du couple Terramorsi. Lui, officier de
l’infanterie coloniale; elle, courageuse femme au foyer qui met au monde sa fille le 19 septembre
1922 après avoir déjà perdu des enfants en couche. « Pour mes parents, j’étais l’enfant du miracle,
très protégée, bien éduquée. Je n’avais pas le droit d’aller jouer dans la rue et ã l’école,
j’étais plutôt en avance ». Une aisance qui ne laisse jamais poindre, pourtant, l’ombre d’une
quelconque vocation pour le métier d’avocat. Loulette, comme l’ont toujours appelée ses proches,
rêvait de faire médecine « mais maman me l’interdisait.j’étais surprotégée, elle avait peur que
j’attrape des microbes, ou je ne sais plus trop quoi… ››.
Alors, elle fera du droit à Lyon, où son père l’accompagne, lui trouve une pension chez les Dames
de Sion. « 1’ai fait du droit par hasard, parce que je ne voulais pas mentir à mes parents en faisant
médecine contre leur gré et parce que j’avais remarqué un amphi plein où il y avait très peu de filles ».

En ce temps-là, la France est occupée, le couvre-feu sonne à 18 heures, l’étudiante qui s’en sort
plutôt bien – « Je n’étais pas sotte » – occupe son temps libre en fréquentant les Tréteaux
universitaires, l’association qui permet aux jeunes de s’essayer au théâtre.
Fuyant le chaos parisien de la guerre, la Comédie Française est alors réfugiée à Lyon.Les étudiants
côtoient quelques comédiens déjà renommés. L’un d’eux apprend à la jeune Ursule à « placer sa
voix ». »Pour me faire entendre sans crier », raconte l’intéressée, consciente aujourd’hui encore que
ces instants forgeaient ses futures plaidoiries.
« Ma voix m’a permis de m’imposer face aux grands criminels dans les salles combles même si je
n’avais pas plus de talent que les autres et si les affaires criminelles ne laissaient pas de
place aux incantations ». Chemin faisant, elle finit pas fréquenter un autre cours, toujours
par hasard « et parce que la salle était bien chauffée », sans savoir qu’il s’agit du tout
nouveau CAPA (Certificat d’aptitude à la formation d’avocat). C’est là qu’un vieux magistrat rompu
à la présidence des cours d’assises lui lance un jour: « Vous êtes faites pour être avocate ».
Elle lui répond : « Sûrement pas ».
Ursule Terramorsi est encore portée par cette conviction quand elle rentre en Corse à la fin de
l’année 1944. L’éloignement et la guerre lui ont fait perdre tout contact avec ses parents pendant
deux ans.
Elle les.revoit dans un Bastia éventré par les bombes. »j’ai retrouvé deux vieillards qui croyaient
que j’étais morte. Ma mère était malade.Dès cet instant, je ne me voyais pas repartir. Alors, que
pouvais-je faire ? Scribouillarde à la sous-préfecture, employée de banque » C’est à ce moment-là
que je me suis dit: « Tu as le CAPA ». La réflexion préfigure presque par défaut l’orientation
professionnelle qui constitue pourtant l’amorce d’un parcours unique – bien des confrères en
témoignent aujourd’hui Quand il prête serment, en janvier 1986, Gilles Antomarchi a ressenti comme
un privilège le fait de côtoyer son illustre consœur qui n’était alors pas loin de la retraite.
« Elle a évolué au cœur d’une époque que j’ai eu la chance de connaître. Il y avait un tel respect
entre tous les acteurs de la justice, du magistrat a l’avocat, de l’auxiliaire au fonctionnaire.
Dans ce contexte, Maître Agostini-Terramorsi a pu faire valoir son grand talent, la seule chose qui
ne s’acquiert pas dans ce métier ». Le jeune avocat d’alors retient de cette époque une grande leçon
d’humilité dont il affirme profiter aujourd’hui encore: « Malgré tout ce qu’elle représentait, cette
grande dame était ouverte à la discussion, abordable. Les jeunes, dont j’étais pouvaient la rencontrer
d’égal à égal, sans se sentir inférieur en quoi ce soit ». Le modeste cérémonial de la prestation de
serment d’Ursule Terramorsi était peut-être un signe, en janvier 1945 : »J’étais vêtue d’une robe
rapiécée, on me l’avait prêtée après l’avoir récupérée dans les décombres du palais de justice de
Bastia. Moro était la et le premier président Dumoulin, glacial. C’était un monde d’hommes, avec au
barreau, de véritables seigneurs: Achille Raffalli Tito Bronzini, jean Zuccarelli grâce â qui j’ai
plaidé pour la première fois aux assises… ». Des personnages qui intimident la débutante. Mais l’un
d’eux va prendre les devants et précipiter son destin : « C’était un jour où je me promenais place du
Marché. Soudain, j’ai senti une main sur mon épaule ». Elle se retourne, Charles Cancellieri la
regarde. »C’était un bel homme, un tribun à la voix de bronze. A la barre, il était fantastique ».
Le ténor du barreau l’a reconnue. « Il m’a demandé : « Tu n’es pas la petite qui vient de prêter
serment ? Alors, va chez moi, j’habite au troisième étage de la maison Gavini. Ma femme va t’ouvrir.
Tu reçois les clients »… Maître Cancellieri ajoutera deux ou trois autres consignes.
Maître Terramorsi fait ses premiers pas. Les mots de « Charlot » Cancellieri, jamais elle ne les a
oubliés. Surtout pas ses précieux conseils dans l’approche des individus les plus sinistres,
au-delà du Droit: »En présence des grands criminels, ne regarde pas leurs actes, me disait-il, mais
l’individu lui-même. Si tu arrives à capter en lui une petite lueur, regarde-là. Elle va éclairer
un côté que personne ne voit ».
Cette lueur, Maitre Agostini-Terramorsi l’a guettée durant toute sa carrière, dans le box qui a vu
se succéder tant de prévenus sur lesquels pesaient de très lourdes charges. En défense, elle
s’efforçait de lui donner de l’éclat, de faire émerger la part d’humanisme là où la barbarie semblait
prendre irrémédiablement le dessus. « je me souviens avoir été partie civile aux assises, contre elle.
Elle défendait un individu qui avait tué sa victime en la lardant de 27 coups de couteau, raconte
Maître Angeline Tomasi. Elle n’avait pu lui éviter la perpétuité ». Même dans le camp de la partie
civile, l’ancien bâtonnier savait ne pas s’acharner quand il n’y avait pas lieu de le faire. Lors
du procès de la tragédie de Bustanico qui coûta la vie à deux bergers(voir Settimana du 16 septembre)
elle plaide pour la famille des victimes, reconnaissant malgré tout qu’il ne faut pas voir « la bête
humaine dans le jeune légionnaire meurtrier mais l’enfant perdu ».
Bien d’autres affaires criminelles ont marqué Ursule Agostini-Terramorsi. Elle n’a pourtant
conservé aucun de ses dossiers, juste des « mémoires » écrites qu’elle réserve à ses deux petites
filles. Elle y dépeint les contextes dans lesquels elle plaida, souvent dévorée par le stress:
« Voilà pourquoi j’avais besoin d’écrire le début de mes plaidoiries ». Angeline Tomasi se souvient
d’ailleurs du conseil de son aînée sur la manière d’aborder cet instant tellement particulier pour
un avocat: « Pour elle, il ne fallait jamais négliger le nécessaire appui physique à l’entame d’une
plaidoirie car elle disait que cet instant d’extrême tension pouvait vous faire vaciller. j’ai
pourtant pu mesurer à quel point cette grande figure du barreau était solide. En 1972, avant mes
débuts dans la profession, le bâtonnier Rinieri m’avait conseillé d’aller assister aux assises.
J’y ai vu Ursule y tenir une session sous une chaleur caniculaire. Elle avait quatre dossiers,
ils étaient tellement lourds que son mari les lui portaient dans des cartables ».
Une anecdote a traversé les années, des marches du Palais jusqu’à la salle des pas perdus. Tant
de fois racontée, voire transformée, elle tient lieu de légende encore aujourd’hui, éclaire la
dimension du personnage. En retard à une audience au point de s’y présenter sans sa robe noire,
Ursule Agostini-Terramorsi s’en excuse auprès du président, lequel lui répond : « Mais Maître,
vous êtes déjà bien trop vêtue pour la cour ».
Quand on l’interroge sur ce qui la caractérisait en tant qu’avocate, l’intéressée a encore l’éclat
de rire enthousiaste et le réflexe de vous répliquer que les mieux placés pour répondre sont ceux
qui l’ont côtoyée dans l’exercice de sa profession. Mais encore ? « je dirais l’indépendance,
peut-être aussi la sympathie que je suscitais. Pour le reste, je disais beaucoup d’âneries, comme
tout le monde… Mais je crois que je savais les dire ».
Aujourd’hui, dans son appartement qui donne sur la Place Saint-Nicolas, l’emblématique avocate
profite d’une santé qui lui permet de porter un regard sur le siècle en toute lucidité. De lire,
aussi, beaucoup, jusqu’à retenir quelques mots qui l’interpellent sur sa propre existence.
Un extrait de La dernière fête de l’Empire, d’Angelo Rinaldi, résume tout : « Un jour, par hasard,
nous nous rappelons tant de visages, tant de choses, mais il n’y a plus personnes pour se souvenir
de nous. Et nous sommes toujours vivants ».
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